Fabienne Morand

Fabienne Morand

Journaliste RP Freelance, Vaud, Suisse

Interview

Enfin, la femme rurale est reconnue

AUBONNE Ruth Streit a défendu pendant neuf ans, l’importance du rôle de la femme dans l’agriculture suisse.

Article paru le 8 mars 2012 dans La Côte. Textes: Fabienne Morand. Photo: Tatiana Huf. PDF

Voilà presque une année que RuthStreit a remis les rênes de la direction de l’Union suisse des paysannes etdes femmes rurales (USPF). Vêtue d’un jeans, d’un pull vert et de petites chaussures noires à talons, c’est avec un rayonnant sourire qu’elle nous a ouvert la porte de sa maison vendredi dernier. Cette Aubonnoise, dont seul le léger accent suisse allemand trahit l’origine bernoise, revient sur le rôle de la femme rurale et les moments forts qu’elle a vécus durant ses neuf années de présidence.

Ruth Streit, en quoi consistait votre travail de présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales?
(Elle sourit) L’ancienne présidente m’avait dit: «Tu verras, c’est un poste à 70%». C’est vite devenu du 100% pour moi. Avec la nouvelle politique agricole et les nouvelles formations, tout est devenu plus complexe. En plus, il fallait une femme dans toutes les commissions.

Cela veut dire que vous étiez LA femme présente dans toutes les commissions?
Je suis d’office devenue membre du comité de l’Union suisse des paysans (USP) et j’ai toujours été la seule femme. Alors que pendant très longtemps, c’est l’USP qui représentait l’agriculture, la famille agricole et donc la femme. A l’OFAG (ndlr: Office fédéral de l’agriculture) et dans les groupes de recherche, il n’y avait pas de femmes. C’est la Confédération qui a exigé qu’il y ait plus de femmes.

Sont-elles maintenant représentées partout?
Presque partout. Elles sont encore clairsemées dans les branches liées à la production laitière ou de céréales.

Qu’avez-vous fait pour attirer les femmes dans ces commissions?
C’était et ça reste un travail constant, lié à un problème de communication. Celui de montrer le rôle de la femme dans l’agriculture. Maintenant le rôle de la femme rurale est admis et reconnu partout.

Donc durant neuf ans, vous vous êtes battue pour cette reconnaissance?
Oui, c’était un de mes points forts et c’était nécessaire, car la paysanne n’avait pas de statut. Dans la loi, l’égalité existe, mais elle ne l’était pas dans la réalité.

Par exemple?
Mon mari ne pouvait pas me verser un salaire et je n’avais pas le droit d’être coexploitante. On n’existait pas. On n’avait même pas le droit à notre propre compte AVS. On a dû se battre et finalement, c’est le Tribunal administratif fédéral qui a dû trancher pour que la femme puisse être coexploitante. Il faut souligner que c’est l’Union suisse des paysans qui a soutenu financièrement notre bataille.

Vous parliez de points forts, quels sont ceux que vous retenez des neuf ans?
Tout d’abord la reconnaissance du rôle de la femme rurale. Par exemple, le brevet de paysanne est désormais reconnu comme équivalent au CFC d’agriculteur. Ce qui permet à la paysanne qui reprend l’exploitation d’obtenir des crédits d’investissements. Je pense aussi à la compétence au quotidien, appelé avant économie familiale. Il y a une perte énorme de la société de savoir gérer le quotidien, tels que les achats ou de cuisiner des produits locaux. Beaucoup de personnes n’en ont plus aucune idée. Au début, on s’est beaucoup moqué de nous. Surtout les féministes qui traitaient nos idées de vieux jeu,mais j’ai toujours dit que ce n’était pas lié au sexe. Depuis dix ans, on commence à nous dire «vous avez raison».

Avez-vous des regrets?
Oui bien sûr, on en a toujours. C’est très difficile d’atteindre la base des femmes rurales quand on a 28 sections. Il y a encore beaucoup de travail à faire au niveau de la communication interne et externe.

Et comment voyez-vous l’avenir de l’agriculture?
(Long silence) C’est une question très difficile. Il pourrait y avoir un bouleversement mondial, comme des catastrophes naturelles que bien sûr on n’espère pas, où tout à coup il y aurait un intérêt pour la nourriture et le producteur redeviendrait important. Mais si l’évolution continue comme ces vingt dernières années, la situation sera difficile. Car le producteur est le maillon faible de la chaîne, ce sont les autres, notamment les distributeurs, qui augmentent leurs marges. C’est un problème au niveau mondial.

Où se situe l’agriculture suisse?
Je suis sûre que l’agriculture suisse est sur le bon chemin, comme au niveau de la protection de l’environnement, des animaux et sur le plan social, mais il faudrait que les autres pays suivent. Le système suisse est bon. Il est adapté à ce que souhaite le consommateur et c’est ce qui coûte cher.

Et maintenant, êtes-vous tranquille?
(Elle rit) La situation de la paysanne et de la femme rurale m’intéressera et me préoccupera pendant longtemps. Mais je suis surprise comme j’ai pu rapidement me détacher de mon rôle.

Donc vous tirez un bilan plutôt positif de vos neuf années?
Oui, et je le referais.

RUTH STREIT EN DATES
1950 Naissance de Ruth. Elle grandit près de Thoune. Son père est instructeur à l’armée. Après sa scolarité, elle étudie dans une école de commerce à Berne. Elle rencontre son mari, Adrien, à Berne, venu suivre une école de commerce pour agriculteur.
1970 Ruth suit l’école de ménagère rurale dans le canton de Fribourg. Suivi d’une année d’apprentissage de ménagère rurale à Eclépens.
1973 Ruth et Adrien Streit reprennent l’exploitation familiale à Aubonne. Elle s’occupe de l’aspect administratif, de la comptabilité, de leurs deux enfants, du ménage et de la vigne. Elle devient membre du groupe des paysannes d’Aubonne.
FIN DES ANNÉES SEPTANTE Ruth Streit obtient son diplôme de paysanne (qui correspond au brevet fédéral actuel).
1998 À 2002 Elle est membre de la commission politique de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF)
2002 À 2011 Ruth Streit préside l’USPF.